Le classement des meilleures bières pils établi par notre école d’œnologie Inter Wine & Dine (IWD) a suscité un grand nombre de réactions. Notre directeur, le professeur et zythologue Fabrizio Bucella, apporte ici des éléments d’explication supplémentaires.
L’un des titres (justes) de la presse indiquant « La Cara Pils surpasse largement la Jupiler » (par Lucas Fu, publié le 26/04/19 sur le site de la RTBF) a été abondamment commenté. D’autres médias ont également repris le classement, tels que la DH, La Libre Belgique ou Essentielle Vino. Le communiqué de l’école d’œnologie est aussi disponible sur notre site.
Beaucoup d’amis m’ont demandé : « Comment est-il possible que la Cara Pils détrône la Jupiler ? », « Les conditions de la dégustation étaient-elles correctes ? » ou encore « Les bières étaient-elles servies glacées [ndlr : ce qui empêche toute opération d’analyse sensorielle] ? ». Un commentaire publié sous l’article de la RTBF a également attiré mon attention : « Les gens pensent toujours que ce qui est moins chers ne vaut rien.. bin voila la preuve que non, et depuis longtemps beaucoup de gens le savent, il faut juste la boire bien fraîche, mais comme toutes les bières ».
Le biais de confirmation d’hypothèse
Voilà le principal enseignement de la dégustation à l’aveugle réalisée pour ce classement : la mise en avant du fameux biais de confirmation d’hypothèse. Très étudié par les psychologues expérimentateurs, il indique que nos perceptions gustatives sont déformées par notre attente ou notre imagination. Si vous pensez déguster une bière moins bonne, vous la trouverez moins bonne, et inversement. Vous trouverez plus de détails dans cet article sur le site de notre école d’œnologie IWD et dans mes deux livres L’Anti-guide du vin – Ce que les autres livres ne vous disent pas et Pourquoi boit-on du vin ? Une enquête insolite et palpitante du Prof. Fabrizio Bucella (aux éd. Dunod) qui en parlent à plusieurs reprises.
Quand on déguste les bières à l’aveugle, les informations sur le prestige et la marque ne sont pas connues. Seuls les sens entrent en action. Certaines bières que l’on croyait moins bonnes que révèlent très correctes.
La Cara Pils (de Colruyt) avait déjà réalisé un très bon score lors d’un précédent test, effectué par notre école d’œnologie, qui ne se voulait pas aussi exhaustif et complet.
Peut-on en tirer d’autres enseignements ? J’en vois trois. Le premier a trait à la dégustation, le deuxième au type de bière et le troisième est une information supplémentaire à tirer des notes.
Le nombre de dégustateurs
Le premier enseignement a trait au nombre de juges ayant réalisé le test qui est important : 15. Ce point n’a pas été suffisamment mis en avant. Souvent, le nombre de juges qui dégustent la même bière ou le même vin, même dans des concours célèbres, oscille entre 3 et 6. Ici, nous avons doublé le nombre de dégustateurs, chacun ayant dégusté l’ensemble des 22 bières pils. Plus grand est le nombre de dégustateurs, plus le résultat sera robuste, c’est-à-dire reproductible.
Le type de bière fabriqué
Le deuxième enseignement a trait au type de bière fabriqué. On pourrait croire que réaliser une pils est facile. En réalité, fabriquer une pils de qualité est plus compliqué que de faire une bière spéciale. Dans ce dernier cas, le brasseur peut jouer sur des houblons différents, des épices diverses… Les brasseurs de Brasse & Vous, dont est issue la bière gagnante (Légia), l’avaient résumé au journal La Meuse : « Brasser de la Pils en brasserie artisanale est un double défi. D’abord parce que c’est ce qui demande le plus de travail, de précision, de rigueur. Les défauts (« faux-goûts ») y sont bien plus décelables vu la recherche d’équilibre de cet exercice. [Ensuite], on ne peut y cacher les misères à grands coups, par exemple, de sur-houblonnage techniquement bien plus facile ».
La variance
Le troisième point n’avait pas été abordé par souci de concision, je prends donc la peine de le développer brièvement ici. La méthode dite de Borda ou des rangs, utilise le classement de chaque juge. Peu importe qu’un juge ait noté une bière au demi-point près, ce qui importe c’est son classement (Quelle bière a-t-il préféré ? Quelle bière a-t-il placée deuxième ?…).
Quand nous faisons la somme des rangs pour chacune des 22 bières dégustées par les 15 juges, on peut en tirer une autre information : la variance, soit la dispersion des notes pour chaque échantillon (bière). Que signifie cette chose ? En termes simples, la variance des notes indique si les juges ont plutôt agi en tir groupé ou bien de manière dispersée. Une grande variance indique une bière qui clive le panel entre ceux qui aiment et ceux qui n’aiment pas, à défaut une petite variance indique une forme d’homogénéité dans l’appréciation. Que nous indiquent les variances ? Les bières qui obtiennent la plus grande variance sont issues de micro-brasseries (Polarius 3e, Belgo Sapiens Nivelles et Simcoe Lager 18e, micro-brasserie de Sainte-Hélène Luxembourg). Les micro-brasseries réalisent des produits avec plus de personnalité et qui nécessitent une mise en contexte que ne permet pas la dégustation à l’aveugle. Certains juges apprécient, d’autres moins. Quand ils sont dégustés en contexte, les produits différents voient leur appréciation facilitée. Les notes sont moins clivées. Toujours le biais de confirmation d’hypothèse.