C’est la question qu’a posé Benoît Patris à Fabrizio Bucella dans son émission Les Curieux du Week-end. L’émission est diffusée sur les ondes de la RTBF La Première. La réponse est à lire et écouter dans cet article (voir vidéo).
Ce weekend s’est déroulé à Charleroi le deuxième salon Vins et Gourmandises de Wallonie où Fabrizio Bucella a tenu une conférence sur le terroir wallon.
L’émission de radio de la RTBF La Première, Les Curieux du Week-end lui a posé la question : « est-ce que les vins de Wallonie ont aujourd’hui atteint un tel niveau qu’on puisse parler de terroir viticole wallon ?« . Voici la retranscription intégrale de l’interview (vous pouvez aussi écouter la réponse de Prof. Fabrizio Bucella dans la vidéo à la fin de l’article) :
Prof. Fabrizio Bucella : Clairement, les vins de Wallonie ont atteint un excellent niveau qualitatif. Et donc, on peut parler d’une qualité de ces vins, et aussi de typologie de ses vins qui sont principalement des vins blancs, des vins effervescents, des vins construits sur l’acidité, des vins sur la minéralité. Donc ce sont, je pense, des vins extrêmement modernes par rapport à des vins un peu plus alcooleux, un peu plus chauds qui, peut-être, faisaient la mode et la gloire il y a quelques années mais qui sont aujourd’hui en train de perdre un peu du terrain. Donc, on a dans nos contrées plus nordiques et plus septentrionales la capacité de produire de très très beaux produits, très fins et très élégants.
Benoit Patris : Pour qu’on comprenne bien, un terroir c’est quoi ? C’est un climat ? C’est un sol d’abord ?
Prof. Fabrizio Bucella : C’est une très très belle question, parce que quelque part la définition de terroir, telle qu’elle est communément acceptée, c’est effectivement ce fameux triangle magique entre un sol ou en tout cas une parcelle disons, un climat et, également, tout ce qu’on appelle le facteur humain. Moi j’ai, enfin il me semble qu’à cette définition manque également la pièce maitresse qui est la culture, qu’elle soit maraichère ou animalière, qui en fait est l’élément essentiel par rapport au terroir parce qu’on parle d’un terroir mais il faut bien sûr parler de la vigne, il faut bien sûr parler de l’origine géographique d’où elle provient avec les influents pédoclimatiques et puis le climat d’où elle se trouve et bien sûr, après, des traditions culturales, des traditions humaines qui se sont développés au fur et à mesure des années.
Benoit Patris : Et on a tout ça en Wallonie ?
Prof. Fabrizio Bucella : Alors en Wallonie, on est en train de le mettre en place. On a notamment, autour du sillon Sambre et Meuse sur les coteaux, des très très beaux terrains si vous voulez. On a également mis en place…
Benoit Patris : Quand vous dites « beau », c’est quoi concrètement ?
Prof. Fabrizio Bucella : ça veut dire que ce sont notamment des terrains relativement bien exposés et, si possible, sur des coteaux avec une certaine pente. Alors, je veux bien qu’on est dans le plat pays mais il faut pour la culture de la vigne essayer d’avoir un maximum de soleil notamment dans nos régions, dans nos contrées et donc là on doit récupérer des coteaux, des coteaux plutôt bien exposés afin d’avoir une bonne maturation des raisins.
Benoit Patris : Ce sont aussi des cépages particuliers ?
Prof. Fabrizio Bucella : Voilà ! Et donc on vient aux derniers aspects si vous voulez par rapport au terroir, c’est le fait qu’on a créé et en partie réutilisé des cépages particuliers, des cépages qui ont été mis au point pour la culture de la vigne dans des contrées septentrionales.
Benoit Patris : Qui n’existent pas ailleurs ?
Prof. Fabrizio Bucella : Ils existent ailleurs, mais ils sont quand même adaptés à des climats septentrionaux. Si je vous donne quelques noms, comme Elios, Bronner, Solaris ou Régent, ce ne sont pas, clairement, des noms qui frappent ou en tout cas qui résonnent familiers à l’oreille de nos auditeurs par rapport à des noms comme Merlot, Cabernet Sauvignon ou Chardonnay.
Benoit Patris : Alors, les produits de bouche, le vin particulièrement, on va en parler beaucoup les semaines qui viennent, c’est les fêtes de fin d’année. Et le terroir, à mon avis, on va aussi beaucoup en parler. Est-ce que derrière le terroir, il y a nécessairement de la qualité ?
Prof. Fabrizio Bucella : Je pense que derrière le terroir, il y a dans la définition historique nécessairement une qualité parce que, quelque part, l’Histoire ne retient que les vainqueurs et donc on n’a pas retenu les produits qui pouvaient être très très caractéristiques produits du terroir mais qui en fait n’étaient pas bons et que donc on a arrêté de consommer ou qu’on n’a pas voulu consommer. Je dirais peut-être un dernier élément, c’est que derrière le terroir, il y a un élément qu’on oublie trop souvent : ce sont les micro-organismes qui réalisent la petite magie, alors si on parle du vin c’est la transformation du sucre en alcool, si on parle d’un fromage c’est une fermentation de type lactique, si on parle de la création d’une choucroute c’est une fermentation du même ordre, si on parle du levain du boulanger c’est ce type de fermentation là. Ces micro-organismes, dans une acception plus moderne et plus scientifique du terroir, font partis intrinsèquement du lieu de production et donc le terroir c’est bien sûr l’ensemble des éléments auxquels on pense traditionnellement mais également ces petits micro-organismes sans lesquels il n’y aurait pas de magie, ni pas de bons produits wallons.
Benoit Patris : Si on a devant soi un vin belge et un vin français, est-ce qu’on peut y aller franco sur le vin belge ?
Prof. Fabrizio Bucella : On peut aller franco sur le vin belge je pense en prenant la précaution, blanc et effervescent, on peut y aller vraiment en fermant les yeux entre guillemets. Si c’est un vin rouge, il faut goûter, déguster, on a encore je pense des progrès.
Benoit Patris : Là, y a encore un savoir-faire à acquérir ?
Prof. Fabrizio Bucella : Plus qu’un savoir-faire, la maturation des polyphénols, des tannins pour les vins rouges est quand même plus compliqué dans des contrées septentrionales, on n’a pas le climat encore qu’on a à Bordeaux ou qu’on a à Châteauneuf-du-Pape. Et donc c’est sûr que là il faut faire un peu plus attention, je pense qu’on peut défendre le terroir wallon et le vin wallon tout en restant objectif par rapport à nos auditeurs.
Benoit Patris : Alors, vous êtes non seulement œnologue mais aussi zythologue ou bièrologue, bièrologue c’est peut-être plus facile à comprendre mais vous me disiez zythologue, ça c’est un terme spécifiquement belge francophone, hein ?
Prof. Fabrizio Bucella : Voilà ! Zythologue c’est un terme spécifiquement belge. Il commence également à s’utiliser dans le nord du pays : « een zytholoog », même si de temps en temps on dit « beer sommelier » aux Pays-Bas ou en Flandres. Et c’est un terme qui est en mauralise, « zythos » : le pain liquide, la bière originale, et « enos » : la parole sur le produit. Donc, le zythologue est celui qui porte la parole, qui peut causer, qui peut blablater sur la bière si vous voulez.
Benoit Patris : Alors on va blablater un peu sur la bière. Autre produit du terroir dit-on, il y a une vraie tradition en Belgique sur la bière mais on voit quand même que l’orge, qui est la matière première utilisée pour la fabrication de la bière, vient souvent d’ailleurs que de Belgique. Est-ce qu’on peut parler finalement d’une bière de terroir en Wallonie ?
Prof. Fabrizio Bucella : Alors, pour ce qui est de l’approvisionnement en matières premières, on fait comme la plupart des pays fabriquant et produisant de la bière, on n’a pas un approvisionnement exclusivement local. L’orge ne vient pas exclusivement de Wallonie, ni le houblon exclusivement de Wallonie, ni même de Belgique, même si y a quelques plants de houblons à Poperinge. Mais ce qu’il faut bien comprendre, c’est que le principe même de la fabrication de la bière est un principe qui est celui de pouvoir transporter des matières premières sèches afin de réaliser la transformation dans un autre endroit. Par contre, notre élément qu’on a évoqué précédemment, à savoir celui des micro-organismes et des levures, celui-là est bien caractéristique du terroir, et du terroir wallon. L’air que la levure qu’ils utilisent à Orval n’est pas la levure de Chimay et ce n’est pas la levure de Rochefort. Il y a encore un dernier élément essentiel dans la fabrication de la bière qu’on oublie trop souvent, c’est l’eau !
Benoit Patris : C’est essentiel ça ?
Prof. Fabrizio Bucella : Oui ! À la fin, dans une bière qui titre à 9%, une bière plutôt forte, bien l’eau va faire 91% du produit. Donc c’est sûr que la qualité de l’eau et la provenance de l’eau signe la bière. Quand vous avez les moines de Rochefort qui se battent pour conserver leur approvisionnement en eau de la source de la Tridaine, ils ne se battent pas uniquement contre l’extension d’un certain monsieur qui veut un peu plus creuser la carrière locale et faire plus d’argent subsidiairement mais ils se battent aussi pour conserver la qualité de leur bonne petite bière.
Benoit Patris : Donc ça veut dire que les deux mots-clés et qui sont sans doute des secrets protégés ou en tout cas des patrimoines protégés c’est la levure et l’eau ?
Prof. Fabrizio Bucella : Pour la bière. Bien sûr, tout est important dans la bière mais on oublie trop souvent qu’au-delà de la matière première que tout le monde connait, il faut quand même une bonne eau et, d’ailleurs même les brasseurs industriels traitent leur eau avant de réaliser la bière que l’on trouve en grande surface ou dans l’ensemble des bistrots et en plus il faut de la levure. Et les levures que l’on a, la souche levurienne, va apporter des caractéristiques organoleptiques de sensibilité gustative et olfactive au produit qui sera différente d’une autre souche de levure.