Nous sommes aujourd’hui le 8 mars, journée internationale des droits des femmes. Une bonne occasion de rappeler que le vin n’est pas une affaire de genre… ni d’âge. La preuve en parlant avec Clotilde Chastanet, notre (jeune) assistante professeure IWD.
Clotilde est une curieuse passionnée, touche à tout, qui mène une vie de ministre à Bruxelles : étudiante en ingénierie commerciale, jobiste dans une enseigne de parfumerie, bénévole à l’association Unless [ndlr : qui vient en aide aux plus isolés], membre du Cercle œnologique de l’ULB… et assistante professeure de notre école d’œnologie Inter Wine & Dine. Sans oublier les vernissages, les expos et les concerts qui rythment les semaines de cette hyperactive, avec des pauses au Bar du Canal, un de ses bars à vin préférés de la capitale.
Originaire d’Aurillac, commune française située au milieu des volcans d’Auvergne, Clotilde est une femme qui, à seulement 22 ans, a déjà de belles histoires à raconter sur le vin.
IWD – Quand et comment as-tu commencé à t’intéresser au vin ?
Clotilde – Avant même d’avoir l’usage de la parole, mes parents nous ont baptisé au Champagne ma sœur et moi et, honnêtement, je n’aurais pas pu mieux choisir (rire) ! Plus sérieusement, il est évident que mon intérêt pour le vin est beaucoup dû à mes hédonistes de parents. S’il n’y avait pas eu de bons vins à table, s’il n’y avait pas eu ce rituel de demander l’autorisation d’accompagner notre père à la cave pour choisir les vins avant que les invités arrivent, si je n’avais pas assisté aux conversations sur le vin qui éternisaient les repas, si je ne les avais pas suivi en visite dans des domaines comme celui d’Antoine Arena en Corse dont je me souviens très bien, je n’aurais sans doute jamais demandé, adolescente, de goûter au vin et je n’aurais sans doute pas continué à m’y intéresser aujourd’hui. À partir de 16 ans, je travaillais tous les étés dans la boutique de la distillerie Louis Couderc, une épicerie fine et cave à vins à Aurillac [en France], et je vendais leur magnifique liqueur de Gentiane [crèmes de fruits et eaux-de-vie]. Bref, je vendais de l’alcool sans avoir l’âge légal d’en consommer (rire). Mais, c’est ce petit job qui m’a poussé à me renseigner de manière plus technique sur les vins, sur les régions du vignoble français, sur les appellations, sur les accords mets et vins et sur la dégustation. À cette même époque, Pierre Desprat et Jean-Jacques Vermeersch, deux amis proches de mes parents, ont œuvré corps et âme au développement qualitatif des vins d’Auvergne. Entre les évènements chaque année, comme la sortie de la cuvée La Légendaire [ndlr : qui passe 6 mois dans un buron cantalien à 1200 mètres d’altitude] et les dégustations d’échantillons et verticales, j’y ai été évidemment sensibilisée. Mon éducation a clairement fait du vin un produit de plaisir que l’on respecte, que l’on déguste et dont on parle.
IWD – Y-a-t-il un vin, une région, un domaine, un cépage que tu affectionnes plus que les autres ?
Clotilde – C’est si difficile d’en choisir un… En revanche, il y en a un qui me marque, à chaque fois que j’ai la chance de le déguster. C’est la Coulée de Serrant [ndlr : vin blanc en biodynamie de la région de la Vallée de la Loire].
IWD – Qu’a-t-il de particulier ?
Clotilde – Le chenin est botrytisé [ndlr : cela signifie que le raisin est parasité par le champignon Botrytis cinerea] mais vinifié en vin blanc sec. C’est un de ces vins si complexe et long en bouche qu’il vous laisse à la fois hagard et ému. Dans mon souvenir, les notes vont du miel à l’orange amère et aux fruits secs, en passant par de la minéralité, tout cela en équilibre entre gras et tension. C’est un de ces exemples magnifiques de ce que la biodynamie, bien maîtrisée, peut offrir. Il me semble que les propriétaires du domaine, la famille Joly, travaillent en biodynamie depuis les années 1980. Respecter le vivant, le comprendre et le dynamiser pour que cet ensemble influence le futur vin et donne un produit si complexe et élégant, cela m’émeut.
IWD – Racontes-nous un peu tes débuts à IWD, tout d’abord en tant qu’apprenti dégustatrice, puis en tant qu’assistante professeure en œnologie ?
Clotilde – À peine arrivée à Bruxelles, des amis m’ont parlé du Cercle œnologique de l’ULB. J’ai tout de suite adoré la pédagogie de Fabrizio [ndlr : Fabrizio Bucella notre directeur et professeur IWD] et son approche du vin. Il traite le sujet de manière rigoureuse et légère à la fois avec des termes objectifs et précis, des notions scientifiques, de l’humour et un libre-arbitre. Il m’impressionne toujours autant ! Du coup, c’est comme ça que j’ai eu envie d’approfondir les quelques connaissances que j’avais et j’ai donc suivi les cycles IWD [ndlr : nos cycles de cours en œnologie]. J’ai beaucoup aimé apprendre à prendre du recul sur l’émotionnel, sur les sensations, d’être capable de les analyser, de les décrire, de poser des mots dessus, d’en parler, même si l’on ne quitte jamais vraiment le spectre de sa propre subjectivité. Non pas pour s’éloigner de ses émotions ou du plaisir simple, mais justement pour identifier quelles en sont les sources, pour s’en rapprocher. Etudiante à côté de ça, j’ai bénéficié d’une bourse IWD pour suivre les cycles en échange d’aide à l’installation des cours et de travailler sur des recherches avec l’équipe IWD dans laquelle je me suis vite intégrée. Ces travaux m’ont permis d’approfondir des sujets et d’en discuter avec des personnes hyper intéressantes, comme Richard Pfister [ndlr : ingénieur œnologue et parfumeur], Olivier Paul-Morandini [ndlr : vigneron et propriétaire du domaine Fuori Mondo] ou Florence Kusnierek [ndlr : parfumeur]. Et puis au fur et à mesure, IWD m’a proposé de travailler avec l’équipe sur des événements, je suis devenue assistante de cours et c’est comme ça que j’ai été embarquée dans cette belle aventure qu’est IWD, avec des personnes que je considère dorénavant comme des amis. Plus récemment, j’ai eu l’honneur que Fabrizio et Arnaud [ndlr : Arnaud Laconte, professeur et assistant IWD] me proposent de donner cours. Je prends vraiment cela comme une chance car c’est un plaisir de pouvoir partager tout ça. Même si je suis loin d’être la plus expérimentée et que l’on ne finit jamais d’apprendre, j’ai le sentiment que les élèves apprécient cette pluralité de points de vue qu’offre notre école.
IWD – En ce 8 mars, que penses-tu de la place des femmes dans le milieu du vin ?
Clotilde – Je crois qu’elle n’est malheureusement pas très différente de la place des femmes dans les autres milieux. On n’abolit pas plus de 2000 ans de domination masculine du jour au lendemain… mais les choses sont en train d’évoluer. Aujourd’hui, les promotions en œnologie atteignent la parité, et on peut aussi également s’en féliciter à IWD ! Puis, presqu’un tiers des exploitations en France sont gérées par des femmes qui sont loin d’être moins compétentes que les hommes. Je ne me permettrai pas de parler à leur place, ni à la place des sommelières, journalistes vin, cavistes, négociantes et commerciales, mais quand je vois des associations comme « Femmes de vins » ou « Women Do Wine », je me dis que cela reflète probablement un certain malaise dans un milieu encore majoritairement masculin. En tant que consommatrice de vin aussi, les femmes font malheureusement face à un certain sexisme. Au restaurant, rare que l’on vous tende la carte des vins si vous êtes une femme, encore moins de vous faire goûter si l’on ne le demande pas. J’ai parfois l’impression que le serveur se dit lorsqu’il voit un couple avec un homme et une femme : « Ouf, je l’ai sauvé le pauvre, un peu plus et elle allait commander un vin de femme ». D’ailleurs, parlons-en de ce « vin de femme » ! J’ai rarement vu un concept aussi absurde, qui renvoie à l’image d’une femme fragile, légère, élégante, délicate, facile, fruitée avec un peu de sucre résiduel et qui ne résume en rien la complexité des femmes. Pareillement, l’idée de « vin masculin » qui serait tannique, bodybuildé, charpenté, sur les duretés, empyreumatique, minéral et épicé est tout aussi ridicule car cela ne représente en rien la complexité des hommes. La femme est traitée plus volontiers comme un attribut de vente que comme un individu avec une force de travail physique, un savoir et une sensibilité, à l’instar des hommes. Mais les choses évoluent… lentement, mais positivement. Bien que je lise de l’étonnement sur les visages quand je dis que j’étudie l’œnologie et que je suis assistante professeure dans une école d’œnologie. C’est aussi pour ça que je suis heureuse que Fabrizio m’ait proposé de faire partie de l’équipe pédagogique d’IWD, jusque-là uniquement masculine.
IWD – Y-a-t-il une femme dans le milieu du vin que tu as rencontré et qui t’a marqué ? Et des figures féminines qui t’inspirent ?
Clotilde – Il y en a plusieurs, mais la plus marquante a été Elisabetta Foradori, rencontrée au salon Vini Birre Ribelli à Bruxelles. C’est une femme forte, simple, d’une grande humilité, clairement respectée et écoutée tant par les hommes que par les femmes. Je trouve qu’elle est inspirante parce qu’elle brise, à elle seule, toute une série d’idées reçues. Elle a pris la succession du domaine familial et a produit son premier millésime à 20 ans dans la région montagneuse du Trentin où les sommets atteignent jusqu’à 3000 mètres, une région qui paraîtrait hostile à prime abord. Elle produit du vin en biodynamie, vinifié en amphore pour la plupart, dont l’équilibre et la pureté est assez déconcertante. Sa cuvée Morei, 100% Teroldego qui est un cépage autochtone de la région, est un de mes vins rouges préférés. Il est à la fois puissant, dense, complexe, avec une belle minéralité. Bien loin de ce qu’on appellerait un « vin de femme » et, pourtant, ça en est bien un et pas des moindres. D’autres figures féminines m’ont forcément inspirée. Je pense par exemple à une amie de mes parents, qui finissait des dîners avec un verre de whisky et un cigare à la main, ou à ma maman, folle de champagne mais aussi de vins puissants et tanniques. Des modèles féminins aussi différents que complexes, qui sont des preuves que l’on est libre de nos goûts et qu’ils ne sont en rien assujettis à notre genre.