Pierre Lurton a annoncé qu’il n’y aurait pas de millésime en 2015 pour Cheval Blanc, premier grand cru classé A à Saint-Emilion (Bordeaux). Petit Cheval est le second vin de Château Cheval Blanc, propriété du groupe LVMH qui détient également Yquem à Sauternes. Arnaud Laconte, assistant-professeur nous donne son avis.

S’il arrive que Yquem n’existe pas dans certains millésimes, comme en 2012, 1992, 1974, 1972, 1964, 1952, 1951, 1930, 1915, 1910, afin de maintenir l’image de marque à un niveau superlatif (ou d’augmenter la spéculation), le cas de Petit Cheval est particulier. C’est bien le second vin qui ne sortira pas, et non le premier, pour des raisons d’excès qualitatifs (le millésime étant trop bon, on ne va pas produire du second vin) au lieu de trop grand défaut (le millésime étant trop mauvais on ne va pas produire d’Yquem).

Discutons des motivations de cette décision qui peut, selon le point de vue, être considérée comme un acte cupide, ou comme un coup marketing, sans-doute comme un peu des deux.

Pierre LurtonPierre Lurton, régisseur des châteaux Yquem et Cheval Blanc, propriétés du groupe LVMH

LVMH, un groupe du luxe

Concrètement, cette décision implique d’augmenter la production du grand vin du château (vendu de l’ordre de quatre fois le prix du second vin). Nous sommes au paroxysme du luxe avec des prix de vente au consommateur de l’ordre du millier d’euros par bouteille de 75 centilitres. Luxe exacerbé mais de relativement grande consommation, car il se produit un peu plus 60.000 bouteilles de Cheval Blanc chaque année. Ce secteur est caractérisé par des effets particuliers sur les marchés. On constate que l’offre ne suit pas la demande selon les lois économiques classiques. À l’inverse, une hausse de prix conduit à une hausse de la demande. Il ne fait pas l’ombre d’un doute que le château arrivera à vendre l’ensemble de sa production de grand vin

À l’inverse des lois classiques, une hausse de prix conduit à une hausse de la demande

Homogénéité?

L’argument de la vente quel qu’en soit le prix n’est pas le plus intelligent à asséner à la presse, ni au consommateur, ce serait le prendre trop ouvertement pour un pigeon à plumer. Pierre Lurton préfère s’en tenir au discours officiel, consistant à venter la qualité du millésime 2015. Résumé. Château Cheval Blanc se trouve dans une situation où l’ensemble de sa récolte est digne de porter la grande étiquette. Cette décision permet au maitre de chai de disposer de plus de parcelles pour produire l’assemblage optimum et réaliser un millésime d’exception avec toutes les cartes en main. Faire la fine bouche sur certaines parcelles aurait conduit à des sacrifices lors de l’assemblage au détriment du grand vin. L’argument qualitatif a la forme de la logique.

L’argument qualitatif afin d’expliquer l’absence de Petit Cheval en 2015 a la forme de la logique

Lucre?

Entendons nous bien, le véritable argument qui n’est autre que d’ordre financier. L’éviction de Petit Cheval envoie un message fort à l’ensemble de la profession, comme aux critiques, concernant la qualité du millésime 2015. Ce message arrive au meilleur moment puisque la campagne des primeurs est en cours à Bordeaux. Cet électrochoc est d’autant plus puissant qu’il peut être perçu comme une prophétie auto-réalisatrice. En effet, lorsque Pierre Lurton annonce le millésime 2015 comme exceptionnel, aucun acteur de la filière vitivinicole n’a d’intérêt à contester cette affirmation. La promesse d’un grand millésime est le signe de prix de vente plus élevés pour l’ensemble des acteurs à tous les échelons, le seul à payer les factures étant le consommateur final.

Le seul à payer les factures lorsqu’un millésime est qualifié de très bon est le consommateur final

De la nécessité de disserter

Nous savons qu’à ce niveau de gamme (bouteille plus chère que 50 euros hors taxe départ domaine) le prix n’est plus régi par la qualité intrinsèque du vin. Les économistes l’ont montré. Au-delà de 50 euros, il n’est plus possible de justifier l’élévation du prix par une élévation de la qualité. On boit une étiquette autant qu’on siffle une bouteille. LVMH l’a très bien compris. Ils n’ont pas investi dans des vins de luxe pour rien. Une seule chose est certaine, je ne dégusterai pas de Petit Cheval 2015.

Au-delà de 50 euros, il n’est plus possible de justifier l’élévation du prix par une élévation de la qualité

Château Cheval BlancChâteau Cheval Blanc, le bâtiment historique